Vorace, mais mignonne
Cet insecte est bien connu au Canada, car il sévit depuis longtemps dans un cycle naturel se répétant tous les 10 à 12 ans. La première épidémie à avoir été documentée s’est déroulée en 1791. À partir de ce moment, de nombreuses invasions ont été signalées dans presque toutes les provinces canadiennes. Le territoire Lanaudois ne fait pas exception et subit des épidémies régulières. Vous en avez peut-être déjà vu dans votre boisé.
La livrée des forêts (Malacosomadisstria) est un lépidoptère, c’est-à-dire un insecte de l’ordre des papillons. Nocturne, il a une apparence typique des papillons de nuit, beige avec une touche d’orangé ainsi qu’un corps poilu et trapu. Ses ailes antérieures, d’une envergure allant jusqu’à 4,5 cm, sont rayées de deux lignes parallèles d’un brun plus foncé. Les femelles pondent entre 150 et 350 œufs noirs assemblés en une bague autour d’une branche. Les chenilles issues d’une même ponte formeront une colonie qui se dispersera au fil du temps.
C’est d’ailleurs sous sa forme larvaire que cet insecte indigène devient l’un des plus grands défoliateurs des forêts feuillues du continent nord-américain. La chenille est facile à identifier en raison de sa belle couleur bleue et des motifs blancs en forme de traces de pas sur son dos. Ses flancs comptent deux rayures jaune-orange et de longues soies recouvrent son corps. Elle peut mesurer jusqu’à 5 cm de longueur. Rassurez-vous, elle dévore seulement les feuilles et non les humains. Il n’y a aucun danger pour vous ou pour vos infrastructures.
Comment la détecter
Les chenilles de la livrée des forêts sont très faciles à repérer dû à leur mode de vie grégaire. Elles se rassemblent pour s’alimenter ou se reposer. On peut alors observer une multitude de chenilles visibles sur les troncs d’arbres, dans les sentiers, sur les bâtiments et les aménagements extérieurs. L’éclosion des œufs a lieu au printemps, en même temps que l’apparition des feuilles; c’est à partir de la mi-juin que les chenilles de la livrée des forêts se transforment en papillons. Ceux-ci sont alors plus difficiles à repérer, car ils sont nocturnes. Les œufs sont pondus entre le mois de juillet et d’août. Les larves s’y développent, puis entre en diapause jusqu’au printemps. Il est donc possible d’observer les branches de la cime des arbres afin d’y repérer les bagues d’œufs.
Impacts sur les hôtes
La livrée des forêts s’alimente principalement des feuilles de peuplier faux-tremble, de bouleau blanc, d’érable à sucre, de chêne rouge et de saule. Lors d’une épidémie, toutes les feuilles d’arbres peuvent être complètement ravagées sur un large territoire. En 2018, dans Lanaudière, 7 488 arbres ont été touchés par une défoliation légère à grave. À court terme, il y a peu d’impact sur la santé des arbres. Ceux-ci développeront de nouvelles feuilles au courant de l’été. Si l’épidémie perdure plus de 2 ou 3 ans, les dommages pourraient être plus considérables. La défoliation répétée réduira la croissance des arbres et les affaiblira. Cela augmentera leur vulnérabilité aux autres perturbations comme la sécheresse, les maladies et les autres insectes. Certaines branches pourraient aussi mourir en raison du manque de photosynthèse permettant de les alimenter.
Heureusement, les épidémies durent rarement plus de 3 ans, même si elles peuvent parfois résister 6 ans. Certaines conditions météorologiques ont démontré une influence sur l’apparition d’un foyer épidémique. Par exemple, un hiver sévère peut causer de la mortalité aux œufs et un printemps frais et humide nuit aux chenilles. À l’inverse, un printemps et un été chaud et sec favoriseront la chenille et le papillon de la livrée des forêts.
Voici le résultat d’une épidémie sévère de livrée des forêts au printemps 2009 dans un grand massif dans la région de St-Esprit. On voit très bien à quel point les arbres ont été défoliés par les chenilles.
La nature se régule d'elle-même
Les épidémies de livrée des forêts se régulent généralement d’elles-mêmes. En effet, cet insecte possède des ennemis naturels qui résorbent les invasions. Son principal opposant est la mouche sarcophage qui parasite la livrée des forêts au stade de chrysalide. Les chenilles sont aussi sujettes aux infections d’origines virales, bactériennes ou fongiques. Le virus de la polyédrose nucléaire est particulièrement efficace et anéantit les populations de livrées rapidement. Ce virus peut d’ailleurs être transporté par la mouche sarcophage, ce qui en fait un duo implacable!
Mieux vaut prévenir que guérir
Afin de prévenir les effets néfastes des épidémies de la livrée des forêts, il est possible d’aménager sa forêt de manière à améliorer la santé des arbres et favoriser leur survie. Par exemple, l’entretien régulier d’une érablière via des coupes de jardinage permet d’assurer la croissance d’arbres en santé qui supporteront bien les perturbations telle que la défoliation causée par cette chenille. Le maintien d’espèces compagnes favorise également la santé du peuplement. Il est également important de considérer la santé du sol forestier. La fabrication de feuilles nécessite une grande quantité de nutriments. Des traitements sylvicoles adaptés permettent d’améliorer la qualité du sol. Il est aussi possible de l’amender afin de fournir aux arbres les éléments nécessaires à la production de nouvelles feuilles. De plus, la préservation de gros chicots crée des habitats propices à l’installation des prédateurs naturels de la livrée. Il est recommandé de consulter votre ingénieur forestier qui vous fournira une prescription sylvicole adaptée à votre situation.
Quand l’autorégulation et la prévention ne suffisent pas
Comme les épidémies se résorbent généralement d’elles-mêmes et qu’elles font partie du cycle naturel des forêts, il est généralement inutile d’intervenir. Les traitements sylvicoles préventifs demeurent la solution préconisée pour réduire et même éviter les impacts négatifs. Cela dit, certains moyens de dernier recours ont été développés pour lutter contre ce ravageur lorsque les relevés du nombre d’œufs, comptabilisés à l’automne, sont inquiétants. Ainsi, il est possible d’utiliser un insecticide biologique, soit le Bacillus thuringiensis. Celui-ci est particulièrement efficace dans les érablières. Votre ingénieur forestier sera en mesure de déterminer si votre situation nécessite ce type de traitement.
Carolane Poirier, naturaliste – Association forestière de Lanaudière
Références
Le guide sylvicole du Québec – Tome 1 – Les fondements biologiques de la sylviculture, Bruno Boulet, ing. F., Ph D., DRF et Jean-Pierre Saucier, Dr. Sc. DRF., Les publications du Québec, 2013, pages 480 à 487.
Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs
https://mffp.gouv.qc.ca/forets/fimaq/insectes/fimaq-insectes-insectes-livree.jsp
Aires infestées par la livrée des forêts au Québec en 2018
https://mffp.gouv.qc.ca/publications/forets/fimaq/insectes/livree/Liv_2018_P.pdf
Ressources naturelles Canada
https://aimfc.rncan.gc.ca/fr/insectes/fiche/9374
Services d’arbres verts
Le Réseau d’Avertissements Phytosanitaires (RAP)